Le chien coupable

Plusieurs articles fort intéressants se trouvent sur les blogs de certains comportementalistes ou chercheurs qui traitent de la question de savoir si le chien peut se sentir coupable après avoir commis une « erreur »*. De nos jours, à part quelques « spécialistes » restés bloqués avec des idées des années 50, tout le monde s’accorde pour dire que les capacités cognitives des chiens ne leur permettent pas de se sentir coupable. Cependant, à part quelques éthologues qui travaillent sur ce sujet précis, nous connaissons peu les détails de la recherche menée dans ce domaine. Je tente donc ici faire un résumé afin d’expliquer comment les chercheurs posent les questions et essaient de trouver les réponses.

Le problème a probablement commencé avec l’apparition d’un livre intitulé « Tous les chiens, tous les chats » de Konrad Lorenz en 1954. L’éthologue qui a reçu le prix Nobel en 1973 écrit dans son livre que « Tous les propriétaires de chiens connaissent l’expression d’innocence et d’obéissance exagéré que les chiens intelligents montrent des fois. En le voyant nous pouvons être surs qu’ils ont désobéi. Ce comportement est tellement humain, et tellement amusant en même temps, que nous avons vraiment du mal à effectuer la punition. » A partir de cet instant, pendant presque 20 ans les éthologues et des profanes ont pensé que les chiens pouvaient se sentir coupables, qu’ils étaient capables d’avoir des remords après avoir grignoté la pantoufle préférée de leur maitre pendant que lui, était au travail !

C’est en 1977 qu’une première publication scientifique semble réfuter cette théorie.

Vollmer et ses collègues ont analysé le comportement d’une chienne s’appelant Nicki et qui, d’après son propriétaire, avait l’habitude de déchiqueter les journaux pendant son absence. Le maitre précise également que la chienne se sent clairement coupable quand il revient à la maison. Les chercheurs ont donc demandé au propriétaire de Nicki de lacérer des journaux et de les mettre par terre à la maison en absence de Nicki, puis de faire venir la chienne dans la pièce et de partir au travail. Ils ont enregistré le comportement de la chienne à l’heure du retour de son maitre. De façon surprenante, le comportement de Nicki était identique dans les deux situations, qu’elle soit coupable ou pas. Les chercheurs ont donc conclu que la chienne ne se sentait pas coupable mais qu’elle avait simplement associé la présence de morceaux de papier par terre à l’arrivée de son maitre et aux grondements de ce dernier dans une telle situation. Dans ce scénario stressant, elle émettait des signaux d’apaisement que son maitre interprétait comme des signaux de culpabilité.

Après cette étude, des dizaines d’années se sont passées sans un réel progrès dans le domaine malgré le fait que plusieurs groupes d’éthologues aient travaillé sur les capacités cognitives des chiens de compagnie. En 1993 Sanders et ses collègues ont publié une étude montrant qu’une grande partie des propriétaires de chiens de compagnie considéraient que leur chien comprenait et respectait les « règles de la vie du foyer ». En 2001 une autre étude basée sur des questionnaires et menée par Pongràcz et ses collègues démontrait que la plupart des maitres pensaient que leur chien comprenait le concept d’obéissance-désobéissance. Encore plus tard, en 2008 Morris et ses collègues ont décrit que selon 74% des propriétaires de chien, ces derniers se sentent coupable dans certaines situations et qu’il est plutôt facile de reconnaitre ce sentiment chez leur animal de compagnie. Ici nous voyons un bel exemple d’anthropomorphisme : les personnes interrogées interprètent le comportement, qui serait un signe de remords chez un humain, comme un signe de culpabilité également chez leur chien.

Après ces études, c’est en 2009 que Alexandra Horowitz a mené une étude qui tentait de comprendre, dans quel contexte les chiens montraient des signaux que leur maitre interprétait comme preuve de culpabilité ? La question n’était donc pas de savoir si le chien est capable de se sentir coupable mais de savoir dans quelle situation le chien se comporte comme si…

Quels signaux interprétons-nous typiquement comme des indices de remords ?

  • Lever la patte avant
  • Reculer avec une posture basse
  • Se déplacer avec les membres pliés
  • Porter les oreilles vers l’arrière
  • Mettre la queue entre les jambes
  • Avoir une posture basse, tête basse, queue en bas
  • Eviter le contact aux yeux
  • Avoir la queue basse remuée rapidement
  • Lécher les babines

Le comportement de 14 chiens a été analysé, le test a été répété 4 fois avec chaque animal, et l’étude a été menée chez le propriétaire. L’exercice pour le maitre était de mettre une friandise à un endroit accessible pour le chien, de lui interdire de la toucher, puis de quitter la pièce. Vingt secondes plus tard le propriétaire devait retourner dans la pièce alors que la scientifique le renseignait sur le fait que le chien ait obéi ou pas. Ainsi et selon le cas le maitre pouvait gronder ou féliciter l’animal. Pendant ce temps un film de 10 secondes était enregistré, et la scientifique comptait les signaux associés à la culpabilité pendant cette période.

Ce que les propriétaires ne savaient pas, c’est que la scientifique ne leur a pas toujours dit la vérité par rapport au comportement de leur chien. Chaque binôme est passé 4 fois :

  1. Le chien n’a pas touché la friandise => le propriétaire félicitait l’animal
  2. Le chien n’a pas touché la friandise => le propriétaire grondait l’animal (fausse information donnée par la scientifique)
  3. Le chien a mangé la friandise => le propriétaire grondait l’animal
  4. Le chien a mangé la friandise => le propriétaire félicitait l’animal (fausse information donnée par la scientifique)

Après 14×4=56 passages, le Dr Horowitz a conclu que les chiens que le propriétaire grondait montraient beaucoup plus de comportements associés à la culpabilité que les chiens que le propriétaire félicitait. Quand en plus le chien n’avait pas touché la friandise et qu’il était grondé, il montrait encore plus de signaux.

En même temps si la scientifique comparait le nombre de signaux émis par les chiens qui ont mangé la friandise et ceux qui ne l’ont pas touché, il n’y avait aucune différence. Nous pouvons donc conclure que c’est la réaction du maitre qui induit chez le chien le comportement « coupable » et pas le fait qu’il a désobéi.

La critique la plus souvent citée concernant cette étude est que les chiens qui ont mangé la friandise n’ont pas vraiment désobéi car la chercheuse leur a proposé la nourriture. Cette étude ne permet donc pas de savoir si le chien se sent coupable ou non. Pour vérifier si le fait que la friandise qui est donnée par la scientifique a modifié les résultats, les expériences ont été répétées, mais cette fois en laissant le chien prendre la nourriture par lui-même. Les résultats n’ont pas changé : les chiens grondés ont montré significativement plus de signaux associés avec la « culpabilité » que les autres.

Un détail intéressant par rapport à cette étude est le fait que les chiens qui ont participé préalablement aux cours d’éducation/obéissance montraient plus de signaux en cas de grondement que les chiens « non dressés ». Encore plus intéressant : si le maitre, pour punir l’animal, a utilisé des moyens physiques (pousser le chien par terre, etc), le nombre de signaux était encore plus élevé.

Les résultats de l’étude du Dr Horowitz soulèvent deux remarques. La première est que si les chiens qui n’ont pas touché la friandise mais qui ont été grondés montrent plus de signaux, on peut imaginer que le chien sait qu’il n’a pas désobéi. Cela veut également dire que le chien est capable de savoir et de se sentir coupable s’il a désobéi. La deuxième remarque est : comment est-il possible que la plupart des maitres déclare être capable de dire si le chien a dépassé les limites sans avoir trouvé les preuves de l’acte, simplement en regardant le comportement du chien?  Dans ce cas le comportement « coupable » ne peut pas être la réponse aux grondements du propriétaire car l’humain ne gronde pas.

Pour répondre à ces questions, en 2012 Hecht et ses collègues ont publié les résultats de leur étude. Ils ont cherché à répondre à deux questions :

  1. Est-ce que le chien se comporte différemment au moment du retour de son maître s’il a désobéi? Est-ce que nous arrivons à identifier les signaux de culpabilité dans le rituel de retrouvaille ?
  2. Est-ce que les maitres arrivent, après avoir vu le chien, à dire si le chien a enfreint les règles installées par le maitre ?

64 chiens ont participé à cette étude. La première partie de l’étude consistait à remplir un questionnaire. Les résultats étaient les suivants :

  • 92% des maitres pensent que leur chien se sent coupable dans certaines circonstances
  • 60% des propriétaires déclarent moins gronder le chien quand il voit que le chien « se sent coupable »
  • 50% des maitres disent que les signaux de culpabilité sont visibles sur leur chien avant la découverte des preuves de la désobéissance

Les signaux que les scientifiques ont cherchés pendant les expériences sont similaires à ceux cités plus haut :

  • Posture basse
  • Queue entre les jambes
  • Eloignement par rapport au maitre
  • Immobilité
  • Détournement de la tête, évitement du contact visuel
  • Tête basse
  • Le chien ne saute pas sur le maître à son retour

Pendant les expériences, chaque chien devait passer par 5 étapes:

  1. Le maître sort de la pièce, puis il revient plus tard (enregistrement du rituel de retrouvaille “normale”)
  2. Le maître pose une friandise sur la table basse sans interdire au chien de la toucher, puis il tourne le dos. Quand le maitre retourne voir son chien, il gronde l’animal s’il a mangé la friandise
  3. Le maître pose une friandise sur la table basse et interdit au chien de la toucher, puis il tourne le dos. Quand le maitre retourne voir son chien, il gronde l’animal s’il a mangé la friandise
  4. Le maître pose une friandise sur la table basse et interdit au chien de la toucher, puis il sort de la pièce (le chien mange ou pas la friandise). A son retour le maitre ne voit pas si la friandise a disparu ou pas. Il doit décider, sur la base du comportement du chien, si l’animal a désobéi ou pas.
  5. Le maître sort de la pièce, puis il revient plus tard (enregistrement de rituel de retrouvaille “normale”)

Pour chaque étape une vidéo de 10 secondes a été enregistrée et les chercheurs ont compté le nombre des signaux associés avec la culpabilité émise par le chien.

Les résultats ont été les suivants:

  • Le nombre de signaux ne diffère pas entre l’étape 1/5 et l’étape 4, et cela indépendamment du fait que le chien a mangé ou pas la friandise
  • Le comportement des chiens qui mangent la nourriture dans les étapes 2-4 est pareil que pendant les étapes 1/5 (retrouvailles normales)
  • Si nous regardons les réponses données par les maitres dans l’étape 4, nous constatons que la plupart d’entre eux à donner la réponse correcte. Ce fait peut être facilement expliqué car certains chiens ont systématiquement mangé la friandise (pendant les étapes 2-3-4) et donc le maitre connait simplement le comportement « constant » de son animal. Si les chercheurs analysent uniquement les réponses des maitres dont les chiens ont changé de comportement (étape 2 : mange, étape 3 : ne mange pas), les réponses après l’étape 4 n’étaient pas mieux que ce qu’on peut obtenir par hasard. Les propriétaires n’arrivent donc pas à décider si leur chien a désobéi ou pas s’ils ne voient pas les preuves de l’acte.

Cette étude permet de conclure que le comportement des chiens ne change pas après avoir commis “une erreur”. Nous pouvons également tirer la conclusion que les maitres qui pensent pouvoir reconnaitre les signaux de culpabilité sur leur chien sans voir les preuves se trompent.

Très récemment une nouvelle étude a cherché à trouver la cause de ce “comportement coupable” chez les chiens de compagnie. Pourquoi le chien montre des signaux de culpabilité si son maitre ne le gronde pas ? Ostojic et ses collègues ont supposé que l’on pouvait imaginer deux causes potentielles :

  1. C’est le comportement préalable du chien, donc il sait qu’il a désobéi
  2. C’est les preuves de son acte, visibles, qui le poussent à se comporter comme un coupable (morceaux de journaux par terre, ou nourriture manquante sur la table)

Nous pouvons donc imaginer 4 scénarios :

  • Quand le maitre retourne dans la pièce où le chien se trouvait, il n’y a pas de friandise sur la table
    • Parce que le chien l’a mangé (donc à cause de son propre comportement)
    • Parce que le chercheur l’a enlevé (donc preuve de désobéissance visible)
  • Quand le maitre retourne dans la pièce où le chien se trouve, la friandise est sur la table
    • Parce que le chien ne l’a pas touché (donc il n’a rien fait)
    • Parce qu’après que le chien l’ait mangé, le chercheur y a mis un autre morceau, bien visible pour le chien et pour le maître (donc pas de preuve de désobéissance)

Le maître devait, en rentrant dans la pièce, répondre à la question si le chien avait désobéi ou pas. Si la raison du « comportement coupable » est l’acte préalable du chien, les maitres dont le chien a mangé la friandise devraient déclarer le chien coupable plus souvent que les maitres de chiens qui n’ont rien mangé, et cela indépendamment du fait qu’il y a de nourriture sur la table. Par contre si la raison du comportement coupable est qu’il y a une preuve visible de désobéissance, les maitres qui trouvent une table vide à leur retour devraient déclarer leur chien comme coupable.

94 chiens étaient testés, avec des vidéos de 10 secondes comme dans les études précédentes. Les résultats ont confirmé ce qui était déjà démontré : si le maitre ne gronde pas le chien, le comportement de l’animal ne change pas

  • Ni s’il mange la friandise “interdite”
  • Ni parce que la nourriture a disparue de la table

Les réponses des maitres s’agissant de savoir si leur chien a désobéi ou pas ne suivaient aucune règle, et n’étaient que le fruit du hasard. Les maitres n’étaient pas capables de dire si leur chien avait osé toucher la friandise ou pas.

Comme nous l’avons vu dans ce résumé, les expériences menées par les scientifiques montrent que quand notre chien se montre coupable, c’est parce que nous le grondons et qu’il essaie, avec des signaux d’apaisement, de nous apaiser/calmer. Il n’y a aucune preuve que le chien change son comportement après avoir commis une erreur, ni que les preuves visibles de sa désobéissance sont suffisantes pour qu’il montre des signaux de « culpabilité ». Et la croyance selon laquelle « je vois qu’il a fait quelque chose d’interdit » reste une croyance…

Ce que je vous conseille, c’est de ne pas punir ou gronder votre toutou quand en rentrant vous trouvez votre chaussure préféré en miettes. Il ne comprendra rien. Il vaut mieux prendre d’habitude de ranger vos affaires et lui laisser un jouet à mâcher.

et voilà une vidéo qui montre de quoi je parle:

* les liens:

en Anglais:

http://blogs.scientificamerican.com/thoughtful-animal/2012/05/31/do-dogs-feel-guilty/

http://www.ethodog.fr/mon-chien-a-le-regard-coupable-guilty-look/

http://www.ohmidog.com/2011/04/27/another-look-at-the-guilty-look/

http://dogspies.blogspot.fr/2011/03/is-denver-dog-really-guilty.html

http://dogspies.blogspot.fr/2011/04/guilt-part-2-she-greeted-me-showing.html

en Français:

http://www.ethodog.fr/mon-chien-a-le-regard-coupable-guilty-look/

http://www.avarefuge76.com/_media/revue-presse/Revue_scientifique_septembre_2012.pdf

http://marie-perrin-comportementaliste.blogspot.fr/2014/02/mon-chien-ce-grand-coupable.html

en Hongrois:

http://kutyakutatas.blogspot.hu/2014/09/mire-emlekszik-egy-kutya.html

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